vendredi 20 février 2009

Extraits de "FAUSSE COURSE"

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EXTRAIT 1

"...Je gare la voiture et je me promène à pieds dans le centre ville. Les trottoirs sont dégoûtants, les poubelles publiques débordent de déchets. Je regarde où je pose les pieds afin d'éviter les étrons laissés par nos amis à quatre pattes. Quelques magasins ont fermé définitivement leurs portes. Les vitrines sont recouvertes de vieilles affiches déchirées. Des indigents sont installés au coin de la Rue de la Chaussée et de la Grand Rue, un jeune déguenillé avec son chien, une femme originaire des pays de l'Est qui donne le sein à un enfant. Chacun arbore son petit écriteau donnant les explications adéquates : "Je n'ai pas de travail, pas d'allocation, pas de logement, une pièce SVP pour m'aider" pour l'un, "Je ne parle pas français, je n'ai pas de travail, aidez-moi SVP" pour l'autre. Personne ne les regarde. Moi-même je détourne le regard. J'ai mon lot de mendiants qui errent dans le quartier de la gare à faire la manche et qui fouillent les poubelles afin de trouver de quoi boire ou manger : un reste de canette, un fond de paquet de frites, un résidu de kebab.
J'entre dans une pizzeria, il y en aura au moins un qui bouffera à sa faim ce soir. J'engloutis rapidement ma "quatre fromages" arrosée d'un Valpolicella pour rester dans la couleur locale. Ça ne vaut pas un bon Bourgogne mais il fait l'affaire. Il est un peu tôt. Ça me permet d'éviter la cohue.
Je règle l'addition en liquide et je file au "Plaza Art". Il y est proposé un vieux Truffaut : "L'homme qui aimait les femmes". Je préfère revoir de bons films que de me taper les nouveaux totalement insignifiants proposés à l'IMAGIX. Douze, non seize, enfin je ne sais plus combien de salles de projection réunies dans un complexe dévoué aux affaires, au bizness comme on dit quand on est branché : les grosses productions en tout genre dans une débauche de fric inversement proportionnelle à l'intérêt du film, l'entracte en plein milieu de la projection, des spectateurs qui regardent la toile en croquant chips et pop corn comme les vaches mastiquent de l'herbe en regardant passer les trains. C'est la foire. Je noircis faiblement le tableau, certains films valent la peine d'être vus. J'apprécie de revoir des artistes talentueux comme Charles Denner, Brigitte Fossey. Un grand moment de bonheur. Je ne me souvenais pas de Nathalie Baye. Craquante..."

EXTRAIT 2

"... Deux jeunes s'avancent vers mon taxi. La journée des couples. Ils ont une allure qui ne m'inspire pas.
- Salut, on voudrait aller à Boussu, c'est combien ?
- Plus ou moins dans les quinze euros.
Ils n'ont pas l'air décidé.
- Vous pouvez prendre le bus, c'est moins cher.
- On n'a pas le temps. Quinze euros... C'est d'accord.
Le gaillard me refile le flouze et s'installe avec son compagnon à l'arrière.
- Où allons-nous à Boussu ?
- Je ne connais pas le nom de la rue. Je sais qu'avant d'entrer dans Boussu il faut tourner à gauche à la station service, monter vers l'hôpital mais prendre la première à droite.
- OK, je vois où ça se trouve, c'est la Cité Foyer Moderne, pour quinze euros c'est bon.
Il n'y a pas trop de circulation, je décide de ne pas prendre l'autoroute. Leurs bobines ne me reviennent pas, en cas de problème je trouverai plus d'aide sur la route que sur l'autoroute. Nous traversons les "charmants" villages du Borinage : Jemappes, Quaregnon, Wasmuel, Hornu. Putain que c'est moche ce pays ! A boussu je prends vers Warquignies et ensuite la première à droite.
- Vous pouvez tourner à gauche dans la cité, juste à l'entrée. Vous pouvez nous ramener à Mons?
- Ce sera long ?
- J'sais pas. Deux ou trois minutes.
- On fait comme ça.
Je me gare le long du trottoir, juste derrière une Audi de couleur rouge équipée de jantes chromées et d'un aileron sur le couvercle de la malle arrière dans le plus pur style formule un. Le chauffeur qui en sort a la tenue assortie à la bagnole. Sweat-shirt jaune canari, pantalon au ras des fesses quinze fois trop large pour sa taille, la casquette Nike, les baskets Nike, les chaussettes Nike. Le plus grand de mes clients sort du taxi et va à sa rencontre. Ils échangent quelques mots, le client lui donne de l'argent et revient s'installer à côté du taxi. La pub pour Nike se dirige vers la cabine téléphonique, passe un coup de fil, raccroche le combiné, se croise les bras et attend. Trois minutes s'écoulent à peine avant qu'une autre Audi se gare à notre hauteur (ils ont dû les avoir en solde). La vitre côté passager s'ouvre et un gars donne un petit paquet à mon client. L'Audi redémarre et disparaît dans la cité.
Nous rentrons à Mons où je dépose les deux loustics à la gare..."

EXTRAIT 3

"... Il n'y a pas foule. Je trouve une place de parking sans problème. Il y a à peine une douzaine de personnes dans l'établissement. Je m'installe au comptoir, commande un café noir, avec deux sucres. La musique diffuse juste la bonne puissance de décibels, lumière tamisée, ça donne un côté plus intime au bar. Lester Young au saxophone, ça change de la techno habituelle des débuts de soirées. Un voix agréable un peu voilée par la fumée me traverse l'oreille gauche.
- Un café à cette heure avancée, ça va vous empêcher de dormir.
Je pivote sur mon siège pour faire face à mon interlocutrice pas désagréable du tout.
- On se connaît ? Lui dis-je aussi décontracté que possible.
- Réfléchissez.
- Ma foi !
- Vous allez me vexer, me dit-elle en souriant. Je m'appelle Chloé.
- J'y suis. Vous êtes la serveuse de "L'Envers".
- Bingo ! Vous avez gagné une consommation plus appropriée à l'atmosphère de cette soirée jazz. C'est moi qui régale.
- En quel honneur ?
- Juste pour le plaisir de faire connaissance. Whisky ? Bourbon? Bière ?
- Une bière, j'ai encore quelques heures de boulot à tirer.
- Du boulot à cette heure ! Vous faites quoi ?
- Taxi.
- Je vous aurais bien demandé de me ramener mais j'habite en face, au 12B, mon prénom est sur la sonnette.
Chloé commande une pression pour moi et un bourbon pour elle.
- Je ne travaille pas demain et je rentre à pieds. J'en profite, ne croyez pas que je carbure au bourbon tous les soirs de la semaine.
- Vous faites comme vous le sentez.
Coleman Hawkins joue "Body and soul". Parfait pour accompagner la bière et le bourbon.
- Vous aimez le jazz ?
- Plus j'entends les musiques actuelles plus j'apprécie le jazz. Pas depuis très longtemps, je découvre petit à petit. Pour l'instant ça tombe bien j'ai une préférence pour le sax ténor. Et vous, vous me semblez jeune pour écouter ce genre de musique?
- Il n'y a pas d'âge pour la bonne musique.
La sono enchaîne sur un autre morceau joué par Hawkins et Glenn Miller entre autre : "One hour".
- Venez, ça se danse sans forcer ce morceau.
Chloé me prend la main et m'entraîne où il y a assez de place pour se bouger sans se prendre les tabourets dans les jambes. Elle me fait face, me prend par les épaules. Je pose les mains sur sa taille. Elle se rapproche un peu plus. Sa poitrine touche ma poitrine, nos joues s'effleurent.
- Ça n'avait pas l'air d'aller l'autre jour avec votre copine. Plutôt tendu.
- Elle n'est pas ma copine. Juste une amie.
Stanley Black joue l'intro de "Lost in fog". Ma cavalière me serre de plus près. Hawkins caresse son saxophone. Je passe la main dans le dos de Chloé.
- Vous êtes marié ?
- Vous êtes sans détour vous !
- J'aime savoir à qui j'ai affaire. Je me moque que vous soyez marié ou pas. Vous n'avez pas répondu à ma question !
- Je ne suis pas marié.
Chloé resserre son étreinte pour une danse qui se fait de plus en plus dissolue.
- Vous ne me demandez rien à moi ? Si je suis mariée ?
- C'est votre histoire. Si vous me dites tout le premier soir nous n'aurons plus grand chose à découvrir.
- Je ne suis pas pour les mystères.
- J'avais remarqué.
Mon portable se met à vibrer dans ma poche.
- Vous avez le sexe qui vibre, me dit Chloé polissonne.
- Désolé, je crois que les affaires reprennent.
Je glisse la main dans ma poche pour en sortir le portable qui continue de vibrer. Je sors afin de répondre plus tranquillement. Chloé reprend place au comptoir, termine son bourbon. Je la rejoins après une brève conversation et vide ma bière, tiède..."

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